Interruption pour maladie et décompte des heures supplémentaires
Dans deux décisions récentes du 10 septembre 2025, la Cour de cassation se conforme de nouveau à la jurisprudence européenne concernant le sort des congés payés d’un salarié tombant malade au cours de ceux-ci et la prise en compte des congés dans le calcul du seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
Suite à une première salve portée par les arrêts du 13 septembre 2023, la loi du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, dite « loi DDADUE » avait modifié le code du travail en profondeur sur des dispositions relatives aux congés payés. On citera, à titre principal, l’assimilation de la maladie non professionnelle à du travail effectif.
S’inscrivant dans la lignée de cette mise en conformité du droit français avec le droit communautaire, la Cour de cassation opère dans deux arrêts du 10 septembre 2025 un revirement de sa jurisprudence concernant le report des congés payés en cas de maladie survenant pendant les congés (1) et la prise en compte des congés dans le décompte des heures supplémentaires (2).
Ces arrêts étaient d’autant plus attendus que la Commission européenne avait mis en demeure la France de se conformer au droit communautaire dans un délai de deux mois à compter du 18 juin 2025 sous la menace d’une procédure d’infraction.
1. Droit au report des congés quand un salarié tombe malade pendant ceux-ci
Jusqu’à maintenant, la Cour de cassation considérait qu’un salarié tombant malade au cours de ses congés payés ne pouvait exiger de prendre plus tard les congés couverts par son arrêt maladie. Autrement dit, elle faisait prévaloir la première cause de suspension du contrat de travail (Soc 4 décembre 1996 n°93-44907).
Mais interprétant les textes supra-nationaux, la Cour de Justice de l’Union Européenne considère depuis de nombreuses années que l’objectif du congé payé est de permettre aux salariés non seulement de se reposer, mais aussi de profiter d’une période de détente et de loisirs. Du côté du congé de maladie, l’objectif est de permettre aux salariés de se rétablir d’un problème de santé. L’un et l’autre étant inconciliables, le salarié qui tombe malade pendant ses congés doit donc pouvoir les prendre plus tard (CJUE 21 juin 202 n°C-78/11).
La Cour de cassation française se met donc en conformité avec la jurisprudence européenne et reconnait désormais au salarié qui tombe malade pendant ses congés payés le droit de les reporter, sous réserve que son arrêt maladie ait été notifié à son employeur (Soc 10 septembre 2025 n° n° 23-22732).
L’administration renvoie aux règles existantes du code du travail pour encadrer les modalités de mise en œuvre de ce report : “Dès lors que des jours de congés payés, ayant coïncidé avec un arrêt maladie, font l’objet d’un report, les règles relatives au report des congés payés dans un contexte de maladie devront être respectées et l’employeur devra observer la procédure d’information du salarié” (site du ministère du Travail). Ainsi, selon elle, les articles L. 3141-19-1 (report limité à quinze mois) et L. 3141-19-3 (obligation d’information du salarié par l’employeur) du Code du travail s’appliquent à cette situation.
Reste à savoir comment la situation va être traitée par la caisse des congés payés : reversement par le salarié de l’indemnité de congés payés pour les jours couverts par l’arrêt maladie ou conservation de cette indemnité comme un avoir pour les congés reportés ? Ces questions ne sont pas aujourd’hui tranchées.
En plus de devoir gérer le nouveau droit du salarié de reporter ses congés, l’employeur devra également, au moment de l’arrêt, indemniser le salarié au titre de la maladie selon les modalités prévues par la convention collective (délai de carence, ancienneté requise….).
A noter que la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation est rétroactive, elle est ainsi susceptible d’être invoquée par le salarié à l’occasion de situations passées, dans la limite toutefois des délais de prescription et de forclusion. De telles demandes pour le passé exigeraient toutefois que le salarié puisse se prévaloir d’un véritable arrêt de travail prescrit par un médecin et notifié à l’employeur, ce qui en limite donc la probabilité.
2. Prise en compte des congés payés dans le décompte des heures supplémentaires
Selon l’article L 3121-28 du Code du travail, toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.
En vertu de ce texte, il était jugé que les jours de congés payés ne pouvaient être assimilés à du temps de travail effectif et ne pouvaient à ce titre être pris en compte dans la détermination de l’assiette de calcul des droits à majorations pour heures supplémentaires (Soc 4 avril 2012 n° 10-10701).
Ex : soit une entreprise dont la durée de travail est de 35 heures par semaine (7 h réparties sur 5 jours). Un salarié prend une journée de congés payés et travaille les autres jours 8 heures. 4 heures lui sont dues au taux normal (le salarié n’ayant effectué que 32 heures effectives dans la semaine).
Mais là encore, la jurisprudence française n’était pas au diapason de la jurisprudence européenne qui interdit toute mesure susceptible de dissuader un salarié de prendre ses congés. Or c’est le cas, selon la Cour de Justice de l’Union Européenne, lorsqu’on exclut les heures correspondant à la période de congé annuel payé du calcul des heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires (CJUE 13 janvier 2022 DS c/ Koch).
Dans son arrêt du 10 septembre 2025 (n° 23-14455), la Cour de cassation écarte donc partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3121-28 précité « en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un temps de travail effectif les heures prises en compte pour la détermination du seuil de déclenchement des heures supplémentaires applicable à un salarié, soumis à un décompte hebdomadaire de la durée du travail, lorsque celui-ci, pendant la semaine considérée, a été partiellement en situation de congé payé », et juge que le salarié peut « prétendre au paiement des majorations pour heures supplémentaires qu’il aurait perçues s’il avait travaillé durant toute la semaine ».
Cela revient à dire, si l’on reprend l’exemple précédent, que 4 heures sont toujours dues au salarié mais désormais avec 4 majorations pour heures supplémentaires (le salarié a « réalisé », suivant la logique de la Cour de cassation, 39 heures).
Attention, cette jurisprudence n’a d’incidence que pour le paiement du salaire, rien a a priori n’est changé quant au décompte du contingent annuel d’heures supplémentaires sur lequel ne s’imputent pas les heures non travaillées telles que les heures de congés payés.
Enfin rappelons qu’il existe dans notre Convention collective nationale des ouvriers, une règle identique à celle posée par la Cour de cassation concernant les jours fériés chômés : « lorsque l’absence est due au chômage d’un jour férié, et uniquement dans ce cas, les heures d’absence seront assimilées à du travail effectif, pour le calcul des majorations pour heures supplémentaires » (art. IV-22 al.3).
Les branches professionnelles et toutes les organisations interprofessionnelles sont vent debout contre ces nouvelles obligations et demandent une modification de la législation européenne !